vendredi, août 06, 2010

Les patois

En visitant le Château d'Oron il y a quelques années, une des activités sur place regroupait des dames en costume traditionnel qui illustraient les activités habituelles d'alors, mais surtout qui s'exprimaient en patois.


Je me souviens m'être amusée avec 2 dames en devinant ce qu'elles me disaient, j'y repensait récemment et mon amour des langues n'est pas seulement en cause dans ma compréhension intuitive de quelques-unes mais plutôt ma concentration à entendre ce qu'elles pensent. C'était évidemment quelques formules de politesse que m'avaient dites ces dames.

Le patois est assez complexe et un bel article paru dans Migros magazine de la semaine passée m'a grandement intéressée et éclairée sur le sujet.



Le dernier sursaut du patois:

Tandis que le dialecte ne se transmet plus que dans une commune romande, des passionnés se mobilisent pour faire subsister un patrimoine en voie d’extinction.

Fin juin, les écoliers d’Evolène (VS), dans le val d’Hérens, ont reçu La chèvre de Monsieur Seguin en patois évolénard, sous la forme d’un CD et d’une bande dessinée. Les élèves de Nendaz et de Troistorrents auront droit au même cadeau, dans la langue de leur région. L’initiative revient au Conseil du patois qui, depuis deux ans, remue ciel et terre pour ranimer, en Valais, les parlers locaux. C’est qu’une enquête a mis au jour leur état préoccupant: des locuteurs de plus en plus âgés et une relève presque inexistante, même si les idiomes sont encore compris par une partie de la population.


Du franco-provençal et de la langue d’oïl

Résultat de deux millénaires d’évolution régionale à partir du latin, le patois était la langue de nos ancêtres en Suisse romande. Multiples suivant les régions voire les vallées, ils font partie du même domaine linguistique: le franco-provençal, à l’exception du patois jurassien, issu de la langue d’oïl.

A l’inverse des dialectes alémaniques, les idiomes romands ont été victimes d’une éradication organisée sous l’influence des idées universalistes de la Révolution française. Dès le XIXe siècle, on punit les élèves qui «barjaquent» en patê, pensant qu’ils apprendront moins bien le français. «On a perdu une richesse de notre patrimoine en raison d’une idéologie», regrette Andres Kristol, professeur de dialectologie à l’Université de Neuchâtel.

D’Ajoie au fond du val d’Hérens en passant par la Gruyère, les derniers locuteurs se font de plus en plus rares. Moins de 3% à Fribourg, moins de 2,5% dans le Jura, moins de 4,5% en Valais. A Neuchâtel, à Genève et dans le canton de Vaud la langue n’est plus parlée du tout.

Pour Bernard Bornet, président du Conseil du patois et ancien conseiller d’Etat, il s’agit de «stopper l’hémorragie et de regagner du terrain en Valais». «C’est la langue d’origine. Elle constitue une richesse linguistique et culturelle à préserver. Avec 6000 à 6500 locuteurs qui l’emploient encore quotidiennement et 30 000 à 40 000 personnes qui la comprennent, nous avons une bonne base», argumente celui qui admet «en être devenu un peu gaga».
Un train de mesures soutenu par le politique

Soutenu par le gouvernement, le parlement et le PDC, le conseil a donc lancé dare-dare un train de mesures: site internet (www.patois.ch), CDs, projet de BD, édition de matériel didactique, multiplication de cours de patois dans les différentes universités populaires. Sollicités, les médias régionaux ont également ouvert la porte au dialecte.

Le patois plutôt que l’allemand ou l’anglais? «L’un n’empêcherait pas l’autre. Plus on sait de langues plus vite on les apprend», rêve Bernard Bornet. Dans les faits, une heure ne sera pas inscrite à la grille-horaire des écoles. Toutefois, l’année prochaine, Eole, un module d’éveil aux langues proposé aux classes romandes par l’Institut de recherche et de documentation pédagogique, inclura dans l’une de ses versions les parlers valaisans et pourra être utilisé dans les villages concernés. Enfin, un cours facultatif sera dispensé dès cet automne à Evolène, dernière commune romande où le patois est encore transmis à la jeune génération (lire encadré). Une initiative saluée par Corina Rong, présidente de la commission scolaire: «C’est maintenant ou jamais. Dans cinq à dix ans, ce sera trop tard. De moins en moins d’enfants le parlent. Et l’enseignante de relever: Ici, les jeunes sont pourtant très fiers de parler patois.»



Le canton du Valais n’est pas le seul à prendre, in extremis, son destin langagier en main. En 2009, le Jura s’est lancé dans une opération de sauvetage comparable. «On a pris conscience que les derniers patoisants étaient en train de mourir», explicite Agnès Surdez, enseignante et coordinatrice. Le gouvernement jurassien ainsi que l’association des patoisants a donc mis sur pied une série d’activités. «L’idée est que les jeunes jurassiens aient l’occasion de rencontrer ceux qui le parlent encore.» Un site internet grand public autour du patois (www.djasans.ch) a aussi été créé. A vocation patrimoniale, il devrait également comporter plusieurs témoignages audiovisuels.


Des demandes à l’Université populaire

Les initiatives font écho chez la population: «Il y a une demande de la part des adultes pour des cours à l’Université populaire», confirme Agnès Surdez. Reste que les enseignants ne sont pas faciles à recruter. Des heures facultatives sont en revanche régulièrement proposées aux élèves. Cette année, trois cours ont été dispensés en Ajoie et aux Breuleux. «On les envisage comme initiation à la langue. Le patois c’est la langue du coeur. Il est riche, drôle. Il apparaît encore dans bon nombre de lieux-dits.»

Très attaché à son patrimoine, Fribourg se mobilise aussi, notamment au travers d’amicales, du chant populaire et du théâtre. «On rencontre aujourd’hui, après quelques décennies d’indifférence, un engouement largement partagé pour la promotion du patois et son maintien», estime Placide Meyer, président des patoisants fribourgeois. Chroniques sur les ondes de la radio locale et dans La Gruyère – journal de la région où il est le plus vivace – ; cours facultatifs à l’intention des élèves; modules à l’Université populaire ou leçons chez des privés contribuent également à perpétuer le «patê». Le dialecte fribourgeois est également passé sur la Toile il y a deux ans (www.patoisants.ch). Enfin, un nouveau dictionnaire bilingue est en préparation.

«Ce mouvement pour la défense du patois est mondial et s’inscrit dans un souci de revitalisation des langues minoritaires. Car il y a la prise de conscience qu’elles sont menacées», analyse Marinette Matthey, sociolinguiste neuchâteloise et professeure en sciences du langage à Grenoble. Pas moins de 3000 langues sont aujourd’hui considérées comme en voie de disparition par les Nations unies. Et la scientifique de nuancer: «Les patois mettent beaucoup de temps à s’éteindre complètement: nos accents romands en sont des réminiscences.»


Une disparition inévitable

Faire renaître les idiomes régionaux, un pari possible? «Toutes ces démarches de revitalisation sont très honorables mais elles viennent malheureusement trop tard. L’école n’a jamais réussi à faire revivre une langue. Leur mort est programmée», regrette, le professeur Andres Kristol.

Pour Marinette Matthey, le patois n’a sa place à l’école que dans la mesure où il permet une réflexion plus intelligente sur le fonctionnement et l’histoire des langues. «Mais forcer les jeunes à l’apprendre et faire de la conjugaison n’aurait aucun sens s’il n’est plus parlé.»

Texte Céline Fontannaz / Photos Pierre-Yves Massot-arkive / Daniel Stucki


La commune d’Evolène (VS), 1650 habitants, a quelque chose du village gaulois. Ici davantage qu’ailleurs, le patois s’est maintenu. Au café, à l’épicerie, à la salle des maîtres ou au Conseil communal lorsque les débats s’enflamment, on l’entend encore fréquemment. Parlé ou compris par la majorité des habitants, il tend cependant à perdre du terrain au profit du français. «J’ai toujours parlé patois à la maison, avec mes parents. Avec mes deux filles, j’ai spontanément choisi de parler cette langue, c’était une évidence. C’est ma langue maternelle», déclare Joëlle Chevrier.

La quadragénaire a appris le français à l’école et se dit fière de ses origines. Son mari, Pascal, a grandi à Genève loin du patois, mais le comprend parfaitement. A Karine, 8 ans, et Carole, 5 ans, ses filles, il s’adresse en français. C’est donc le bilinguisme qui prévaut autour de la table familiale. Avec la proportion grandissante de couples dont un membre n’est pas issu de la vallée, le patois est de moins en moins souvent l’unique idiome des familles évolénardes. Et s’il y a encore vingt ans les élèves se chamaillaient dans cette langue à la récré, aujourd’hui ils se causent en français. «Mes filles me répondent en français, par habitude. Mais si je demande le patois, elles le parlent tout à fait correctement. Il faudrait que je le leur dise plus souvent!» réagit Joëlle. Des cours pour maintenir le parler traditionnel? «Oui, pourquoi pas. Cependant, il faudrait que l’enseignement soit dispensé par des professionnels. Et surtout qu’il reste un outil de communication, une langue vivante.

Chez une «profècheu» de patois gruérien

«Le patois me remet le coeur en joie.» Alice Romanens, 75 ans, chérit l’idiome de son enfance. Dans sa salle à manger, entre les cloches gruériennes et les photos de famille, l’habitante de Sorens (FR) reçoit tous les lundis soir un groupe de contemporains. Ensemble, ils «bataillent» en patois gruérien et chantent. Depuis 1992, l’ancienne couturière l’enseigne même bénévolement à qui veut bien l’apprendre. Une belle revanche pour celle qui dut un jour écrire 100 fois «Je ne dois pas parler patois à l’école.» Les mardis, Alice Romanens se fait «profècheu» et initie donc trois trentenaires. Au programme, traductions et lectures de textes.


Née dans un milieu agricole, Lucie Lambelet, 27 ans, a entendu le «patê» sans jamais l’apprendre. Voyant les locuteurs disparaître, la jeune femme s’est plongée dans le parler de son coin à raison de deux heures hebdomadaires. Par curiosité, consciente que ses compétences linguistiques ne lui seront pas utiles pour sa carrière professionnelle. «L’intérêt est avant tout culturel. On apprend énormément de choses sur la vie telle qu’elle était menée à la maison, aux champs. Sur les saisons, sur le quotidien de la ferme», s’enthousiasme-t-elle, encouragée par son entourage et ses amis. Au terme d’une petite année, elle traduit presque sans peine, s’aidant de temps à autre d’un dictionnaire. Son souhait? «J’aimerais déjà le comprendre parfaitement. Et pouvoir le parler. Mais trouver des gens avec qui converser n’est pas forcément évident.»

Six dictons en patois pour l’été

Sïnt Djâke breule fouan, sïnte Anne lou r’mouille

Saint Jacques brûle le foin, sainte Anne le mouille (s’il fait chaud à la Saint-Jacques (25 juillet), il pleut à la Sainte- Anne (26 juillet) (Le Cerneux-Péquignot/NE).


Lè pyeudje di mouè d’o, ç’ât di mie èt di mo

La pluie du mois d’août, c’est du miel et du moût (Ocourt/JU).


U mè d’oû, la bânye dés fous,

Au mois d’août la baignade des fous (il n’est plus sage de se baigner) (Hermance/GE).


Quand le canecôlo reintre pèr lo bô, chôrte pèr lo pô; che reintre pèr lo pô, chôrte pèr lo bô

Quand la canicule commence par le beau temps, elle finit par le mauvais temps; si elle commence par le mauvais, elle finit par le beau (Lens/VS).


Lé nyôle rôdze dâ matin sont po la pyôdze èt thâ dâ duvèlenê sont po lo bî tin

Les stratus du matin annoncent la pluie et ceux du soir annoncent le beau temps (Granges-de-Vesin/FR).

Quand fâ tsô, prè ton mantô; quand pyâo, prè lou se te vâo

Quand il fait chaud, prends ton manteau; quand il pleut, prends-le si tu veux (Montherond/VD).


Choix proposé par le Glossaire des patois de Suisse romande. Rattaché à l’Université de Neuchâtel, cet institut documente le parler franco-provençal afin de constituer le dictionnaire de nos patois romands. www.gpsr.ch

Source: Migros magazine

4 commentaires:

coco a dit…

Heureusement que tu as mis la traduction pour les dictons. J'ai compris quelques mots mais sans plus.
Depuis ma naissance mes parents m'ont parlé en alsacien. A aujourd'hui je suis heureuse de pouvoir le transmettre à ma fille. Il ne faut pas perdre ses traditions.

Beo a dit…

Coco * Ici je trouve ça génial qu'ils aient commencé à faire de la littérature en patois, en plus de le parler dans les régions concernées. Je trouve que c'est une richesse qu'il faut conserver car quand c'est perdu, ça l'est à jamais... ou presque.

Je suis passionnée par ces patois et l'alsacien est spécial aussi. J'ai déjà entendu mais ça fait des années. C'est fascinant ces constructions de mots qui se sont forgées un peu partout de par le monde!

Tu te doutes bien que si je n'avais pas mis les traductions.... j'étais perdue moi aussi!!!

coco a dit…

Oh que oui, l'alsacien est spécial. Car pour un mot en français tu peux l'avoir en plusieurs déclinaisons en alsacien. Tout dépend si tu te trouves au nord de l'alsace, au milieu ou au sud. Ma tante qui habite proche de la frontière allemande m'avait envoyé chercher des pommes de terre. Je suis revenue avec des groseilles.!!!! Eh oui :-)

Beo a dit…

Coco * Je l'adore celle là!

Comme quoi en comparaison à ces patois, la langue française a su instaurer quelques précisions, hihihi!