fantasme
Il y a 6 jours
Curiosités et états d'âme d'une expatriée.
L'"auteur francophone" est-il la version mondialisée de "l'écrivain de province"?Vigneault, désormais publié au Seuil, serait porté à le croire.
J'aurais bien voulu me présenter, argumenter pourquoi il me semble que cet article — comme tant d'autres — établit un diagnostic plausible, mais y propose toujours le mauvais remède pour que les « victimes » du mal continuent à se plaindre.
Mais, quand on s'exprime en tant que nouvel arrivant dans un pays, les membres de la « tribu » vous mettent en garde de ne pas d'emblée penser comme elle.
Je sens parfois, en sourdine, une sorte de sous-entendu qualitatif. C'est un truc atavique, poli, pas réfléchi. Guillaume Vigneault.
Le Salon du livre de Paris s'est ouvert jeudi soir, révélant l'ampleur du malentendu qui entoure en France le statut des «écrivains francophones».
La Francophonie dans son ensemble, et non pas un pays comme d'habitude, est l'invitée d'honneur de ce grand rendez-vous. Jeudi matin, le quotidien Libération avait bien résumé le problème posé par cette initiative: la Francophonie, a-t-il souligné, est un «mot piégé» auquel se mêle une «histoire de centre et de périphérie», le centre étant, bien entendu, la France, voire sa capitale.
Cette perception «terriblement parisianiste», «vaguement condescendante» et teintée de «colonialisme» finit par agacer un bon nombre d'auteurs, à commencer par la romancière Monique Proulx.
Dans le même journal, l'auteure du Coeur est un muscle involontaire s'est emportée contre la façon des Français de traiter la Francophonie comme s'ils n'en faisaient pas partie, comme s'il y avait «d'un côté les Français, authentiques, les seuls à l'avoir, l'affaire — et de l'autre: la francophonie, tous métèques et sous-produits plus ou moins rachitiques des premiers».
«J'ai exprimé un léger ras-le-bol, a expliqué Monique Proulx au salon. Ca ne changera rien, mais il faut continuer à dire que c'est insupportable. Les Français ont un retard mental, tout simplement. Ils sont lents à digérer le fait qu'il existe une Francophonie en dehors de la France. C'est eux qui ont un problème. Ca ne nous empêche pas d'exister.»
Guillaume Vigneault et Gaétan Soucy sont — avec Wajdi Mouawad, inscrit comme représentant du Liban — les seuls Québécois figurant sur la liste des 40 invités officiels du salon. Les deux écrivains manifestent eux aussi une certaine «irritation» devant le clivage suggéré par le «discours ambiant».
L'«auteur francophone» est-il la version mondialisée de «l'écrivain de province»? Vigneault, désormais publié au Seuil, serait porté à le croire.
«Je sens parfois, en sourdine, une sorte de sous-entendu qualitatif, reconnaît-il. C'est un truc atavique, poli, pas réfléchi. La meilleure façon de corriger ça, c'est d'être là et de se faire entendre.»
«Il y a une résistance à vaincre chez le lectorat français, confirme Soucy, en signalant qu'il n'a pas à se plaindre de son sort. On est facilement marginalisé du seul fait qu'on soit un écrivain francophone vivant en dehors de la France. Ca commence à changer, mais la définition de Francophonie demande à être travaillée, approfondie.»
L'écrivain libanais Amin Maalouf est plus intransigeant. Dans une tribune publié dans Le Monde plus tôt cette semaine, le lauréat du Prix Goncourt 1993 (pour Le Rocher de Tanios) déclare purement et simplement qu'il est «contre la littérature francophone».
«“Francophones”, en France, aurait dû signifier “nous”; il a fini par signifier “eux”, “les autres”, “les étrangers”, “ceux des anciennes colonies”, a-t-il écrit. Mettons fin à cette aberration! Réservons les vocables de “francophonie” et de “francophone” à la sphère diplomatique et géopolitique, et prenons l'habitude de dire “écrivains de langue française”, en évitant de fouiller leurs papiers, leurs bagages, leurs prénoms ou leur peau.»
L'inauguration du Salon du livre marquait aussi l'ouverture officielle des Francofffonies!, le Festival francophone en France qui se poursuivra à travers le pays jusqu'en octobre. Plus de 2000 artistes, plasticiens, écrivains, intellectuels, scientifiques venus des 63 pays et états membres de l'Organisation de la Francophonie prendront part aux 500 manifestations «labellisées» par le festival ou organisées pour l'occasion. Le Québec occupe a lui seul le quart de cette programmation, avec une cinquantaine d'activités et 87 artistes.
Le Salon du livre, lui, rassemblera jusqu'au milieu de la semaine prochaine 3000 auteurs et 1200 éditeurs. Environ 25 pays sont représentés. Une trentaine d'auteurs québécois ont fait le voyage.